SOUVENIRS D’OHÉMIEN
Par MIGIER
Débuts
1963 – À cette époque le foot était affaire de « mordus ». Une seule chaîne de télé, en noir et blanc. Une seule émission de sport, le dimanche soir… quelques images furtives d’un match de championnat, et dodo. Les seules rencontres télévisées concernaient l’équipe de France, et pas toutes encore… On avait droit en plus à la finale de la coupe. Le premier match que j’ai vu de ma vie était Monaco – Lyon, finale de la saison 62/63, jouée en deux manches (Les tirs au but n’existaient pas alors…), 0–0 puis 2–0 pour l’ASM. Un joueur m’avait beaucoup plu : le numéro huit de Monaco, Yvon Douis. J’avais commencé à taper dans la balle, à l’école, au cours des mois précédents, sans rien savoir du foot des grands… Et à la rentrée suivante quand il fallut se choisir un modèle pour l’année, c’était génial, j’avais une idole… mais je fus devancé par un plus prompt que moi, qui me « piqua » Douis… Je dus me rabattre sur Lucien Cossou, ailier gauche des rouges et blancs, marseillais d’origine quand même… Ce que j’allais découvrir, surtout, cette année-là, c’était un nom magique qui me frappa au cœur, nom étrange tout d’abord, un peu incompréhensible… Mais dans la bouche de celui qui le prononça devant moi pour la première fois, il semblait avoir une résonance sacrée : L’OM ! En rentrant de l’école je questionnai mon père, qui, tout heureux de constater que j’avais été touché par le virus sans intervention de sa part, me souleva un coin du voile… C’est ainsi que tout a commencé.
Le maillot blanc n’était magique que pour les Marseillais en ces temps non médiatiques, et moi, petit écolier de Saint-Barnabé dans le 12ème arrondissement, je venais d’être initié à l’aventure épique d’un club, celui de ma ville, déjà vainqueur à six reprises de la coupe de France et deux fois du championnat. Pour l’heure notre pauvre OM était en pleine traversée du désert, dans les bas-fonds de la deuxième division… C’était le temps de Forbach et de ses fameux 433 spectateurs ! Aussi je me régalais des histoires d’avant-guerre que me racontait mon père. Je l’écoutais me parler des Ben Barek, Scotti, Aznar, Andersson, Zatelli, Kohut… etc. C’était une saga de matches incroyables truffés d’anecdotes qu’il devait sûrement embellir… et qui revenait sans cesse pour m’entraîner dans une fantasmagorie d’exploits légendaires. J’avais dix ans.
Montée
La première fois que mon père m’amena au stade, c’était au tout début de l’ère Marcel Leclerc. Saison 65/66. Cette année-là on jouait à l’Huveaune. 15 000 supporters entassés dans les vieilles travées, pour recevoir en ce début de saison porteuse d’espoir (le nouveau président était ambitieux : un Tapie avant l’heure…), le « grand » Stade de Reims, descendu depuis peu en D2 à son tour, ex porte drapeau du football français avec ses deux finales de coupe d’Europe perdues, et qui faisait se pâmer tous les parisiens et autres supporters de circonstance. Dans les saisons précédentes les joueurs rémois avaient aussi composé l’ossature de l’équipe de France, et la coupe du monde de 1958 hantait encore les mémoires. Raymond Kopa, idole vieillissante des Français (le Zidane d’alors…), de retour du Real, venait finir sa carrière dans son club d’origine. L’OM, des Escale (quelle dégaine !), Brotons, Hatchi, Joseph… allait gagner 2–1 ! Et je découvrais un monde de passion, d’amour et de rage ! Pas de pitié pour le club préféré du pays ! Kopa, le « Napoléon du football », comme on le surnommait, connaissait son Waterloo dans une ambiance sauvage qui allait me marquer à jamais. Au cours de la même saison, pour disputer le derby contre Toulon, prétendant à la montée lui aussi, on avait joué au Vélodrome, que je visitais pour la première fois… Devant 33 000 spectateurs, l’OM s’inclina. Qu’importe, le Graal fut décroché après un dernier match de rêve et de folie contre Bastia, 3 – 0. L’OM remontait en D1. Pour moi il montait tout court. C’était fabuleux ! Je ne pouvais y croire…
Saison 66/67. Des internationaux débarquaient à l’OM : Marcel Artelesa, Jean Djorkaeff… Ce n’était pas suffisant cependant pour constituer une grande équipe capable de jouer les premiers rôles, mais tout de même, on avait battu Nantes, le champion sortant, 1–0 au Vélodrome, but de Max Fulgenzy ! C’était un des rares matches auquel j’avais pu assister. On jouait alors le dimanche après-midi, et mon père n’était pas toujours enclin à m’amener au stade… Cette saison, où l’OM allait finir en milieu de tableau, fut surtout marquée par le passage d’un prodige, un joueur fabuleux, alliant le talent à l’esprit guerrier, doué d’une classe inégalable (et pour moi inégalée…) : Josip Skoblar ! Il n’était là que pour un prêt de six mois au cours desquels il mit 15 buts et enchanta tout le monde, même si, pour ma part et le plus souvent, je ne pus l’admirer qu’à travers les journaux ou les maigres images diffusées pendant les actualités régionales (la 2 et la 3 avaient fait leur apparition). Puis il repartit, laissant le public chaviré et plein de regrets…
La saison suivante vit l’OM connaître une progression en finissant à la 4ème place, mais je n’ai pas de souvenir notable de cet exercice, mis à part, je crois, l’arrivée au sein de l’effectif d’un autre international, qui allait devenir un élément majeur pour la suite : Joseph Bonnel. Saison de transition, donc.
Coupe
Vint la saison 68/69. J’avais 16 ans. Et tout allait s’accélérer : ma famille quitta Saint-Barnabé pour venir s’installer dans le quartier de Sainte-Marguerite… à deux pas du Vélodrome ! Quelle aubaine. A présent, je pouvais aller au stade à pieds. Je m’étais inscrit au club local, l’ASSM, où je m’étais fait de nouveaux copains. A l’OM, qui avait cruellement manqué de panache la saison écoulée, venait d’arriver un ange blond : le Suédois Roger Magnusson, transfuge de la Juventus. Ce fut un nouveau choc ! Que ceux qui ont connu Chris Waddle, bien plus tard, essaie de s’imaginer le même, mais trois fois plus diabolique dans l’art du dribble. Au contraire du gaucher anglais, qui était en plus un combattant, Magnusson, le droitier, répugnait au mastic, mais quand il partait en dribbles, à coups de doubles contacts et de crochets irrésistibles, suivis de centres au cordeau, c’était féerique ! Malheureusement, un peu comme Lucho aujourd’hui (mais après deux ou trois apparitions quand même), il rata le début de saison, pour cause d’appendicite aiguë ! En même temps, le jeu de l’OM s’était appauvri, comme les résultats… La foule grondait et l’entraîneur Robert Domergue fut vite mis sur la sellette. En fait, j’assistais à ma première crise…
Le retour de Mario Zatelli (le coach de la remontée), aux commandes de l’équipe, conjugué à celui de « Magnu » sur son aile droite allait relancer l’OM, qui brilla surtout dans son épreuve de prédilection : la coupe de France. En 16ème de finale, au Parc des Princes, Rennes fut éliminé 3–2 après prolongations. A partir des huitièmes, le nouveau règlement prévoyait des confrontations par aller-retour. Moi qui ne ratais déjà plus un seul match de championnat, j’étais comblé. Contre Angoulême, du haut du quart de virage, j’assistais ébahi, à l’envahissement du terrain par des milliers de candidats spectateurs, restés bloqués aux portes des populaires, lesquelles venaient de craquer sous la pression. Les gens s’assirent tout autour de la pelouse, et, chose impensable aujourd’hui, la rencontre débuta. Après le score nul de l’aller, l’OM se qualifia sans trembler devant 45 040 spectateurs (chiffre officiel).
En quart, l’embryon du futur PSG fut balayé. Arriva la légendaire demi finale contre Angers, équipe réputée alors pour son beau jeu d’attaque, et qui deux ans plutôt, et malgré la présence de Skoblar dans nos rangs, nous avait pulvérisés 5 – 0 au Parc, devant les caméras de télévision. Cette fois, match aller chez eux 0 – 0. Pour le retour, les organisateurs, avertis par les débordements précédents, avaient mieux géré leur affaire. Des barrières furent placées tout autour du terrain pour contenir la foule, et c’est du long de la touche, cette fois, car nous n’avions pas pu obtenir de places dans les gradins, que je voyais pour la première fois l’OM se qualifier pour la finale ! Cela n’avait pas été sans mal. Un partout jusqu’à la 88ème minute… Il n’y avait ni prolongation, ni prise en compte des buts marqués à l’extérieur, ni tirs au but. Egalité signifiait match d’appui sur terrain neutre. Ultime corner pour l’OM, tiré de la gauche par Destrumelle… Bonnel s’élève et catapulte la balle au fond. On est en finale ! C’est le Nirvana.
Dans les années précédentes, chaque fois que mon père m’emmenait au stade, en débouchant sur les gradins, j’étais tout de suite saisi par une sorte de vertige des sens devant le grand rectangle vert et les couleurs chamarrées des tribunes. Après le match, dans la voiture, je fermais les yeux afin de garder ces images le plus longtemps possible… Et puis tout s’effaçait lentement. Un matin, en semaine, j’avais pu me glisser dans les sous-sols du Vélodrome. Tout était ouvert… mais désert. Personne pour m’arrêter. Empruntant le tunnel des joueurs, je gravis les marches qui mènent à la pelouse, tremblant de crainte et d’émotion, pour surgir enfin dans la lumière et le silence du grand stade vide. Ma tête était pleine de visions qui s’entrechoquaient, mon cœur s’abandonnait à des rêves de gloire. C’était comme une ivresse. Je retournais traîner dans l’enceinte mythique dès qu’il m’était possible. Une autre fois j’étais revenu chez moi avec un autographe de Magnusson, que j’avais croisé, les cheveux encore mouillés de la douche, à la sortie de l’entraînement. Je l’avais approché de si près… Touché pour ainsi dire.
Stade de Colombes. Finale contre les Girondins de Bordeaux, dauphins du leader Saint-Etienne au classement. L’OM finirait pour sa part dans le ventre mou… Je regardais le match à la télé avec des copains, chez l’un d’entre eux. La différence allait se faire après la pause, d’abord sur une frappe de Jacky Novi détournée, puis en toute fin de rencontre, et après quelques frayeurs, par Joseph Yegba Maya, suite à un tir sur le poteau de Bonnel. L’OM remportait sa septième coupe de France, 26 ans après. Et 21 ans après son dernier titre : le championnat de France 1948. Pour moi, c’était la première fois. « Mon » premier titre. J’avais du mal à réaliser. Ma joie était si forte, qu’au coup de sifflet final j’abandonnai mes amis pour me précipiter chez mon père et partager ce bonheur avec lui. Mon OM, celui de mon époque, avait triomphé. J’étais aussi fier que si j’avais moi-même marqué un but.
La fête qui suivit, quelques jours plus tard, fut apocalyptique : défilé du stade jusqu’à la mairie, avec les joueurs dans des voitures décapotables qui avançaient au pas et finirent par disparaître, englouties par la foule. Quelques heures plus tard, à la nuit tombée, le président Leclerc conformément à la promesse qu’il avait faite un peu imprudemment, se jeta dans le vieux port, avant de réapparaître… en slip, sur le balcon de la mairie. Le peuple marseillais était sur un nuage, et moi j’étais aux anges…
Josip
La saison 69/70 se distingua par deux évènements qui me marquèrent de manière différente. Tout d’abord cela commença par un nouvel envahissement du terrain lors de la réception de Saint-Etienne, champion de France pour la troisième saison consécutive. Cette fois, les choses se passèrent plutôt mal. L’arbitre, monsieur Machin (c’était son nom !), donna le coup d’envoi malgré les spectateurs agglutinés autour de la pelouse, le long des lignes, comme lors de la rencontre contre Angoulême. Mais le match était électrique. A un quart d’heure de la fin, les Verts menaient au score, quand sur un centre de Magnusson, Djorkaeff, au milieu d’une surface de réparation très encombrée, déviait le cuir dans les filets pour signer l’égalisation. Le stade explosa… Mais la joie se transforma rapidement en colère, car le juge de touche avait levé son drapeau. L’arbitre refusa le but pour un hors jeu de position de Bonnel, très litigieux. Les spectateurs en furie, et libres de tout mouvement, se ruèrent sur l’aire de jeu, et le pauvre monsieur Machin, qui encaissa quelques coups tout de même, ne dut son salut qu’à l’intervention de Jean-Paul Escale, le gardien marseillais (voir photo). J’avais été témoin de cette émeute du haut du quart de virage Jean Bouin nord. C’était terriblement impressionnant.
L’autre fait majeur de cette saison 69/70, plus heureux celui-là, fut le retour de Josip Skoblar, après la trêve d’hiver. Personne n’avait pu l’oublier lors des six mois qu’il avait passés chez nous, tel une comète, trois ans auparavant. D’avoir été ainsi étourdis par sa classe, mais durant un trop bref instant, avait laissé les supporters dans une sombre nostalgie. Mais l’impossible, que dis-je… l’impensable arrivait : IL revenait ! Le président Leclerc avait si bien ferraillé avec Hanovre, le club de Josip, qu’il n’était plus question de prêt cette fois, mais d’un transfert définitif. La perspective de le voir associé à Magnusson excitait l’imagination. Le premier match du retour de « l’aigle dalmate » eut lieu un dimanche après midi, contre Lyon. Malgré les incidents du début de saison, il n’y avait toujours pas de barrière pour protéger les joueurs du public. Les grilles ne furent installées qu’au cours de l’été suivant. J’assistais donc à ce match sur la piste d’athlétisme en contrebas de la tribune Ganay, accoudé aux panneaux publicitaires. Les joueurs évoluaient juste devant nous. On pouvait presque les toucher. Et, sensation irréelle : Josip était là !
Lyon fut balayé 4–1. Skoblar avait planté deux buts, dont un sur coup franc qu’il avait frappé puis repris lui-même après que le gardien l’eut repoussé dans un premier temps. C’était le début d’une nouvelle aventure… Pour ces moments inoubliables et ceux qui allaient suivre, plus grandioses encore, je voudrais conclure ce chapitre en citant une phrase d’Alain Pécheral tirée de sa « Grande histoire de l’OM, des origines à nos jours » : « Il y a deux catégories de spectateurs : ceux qui ont vu jouer Skoblar et les autres… »
Titre
La saison 70/71 fut la plus belle à laquelle j’ai… participé. C’est le terme qu’il faut employer, je crois, pour traduire la somme d’émotions que j’allais partager avec des milliers d’autres fous amoureux de l’OM, passant du rêve à la crainte, de la soumission à l’espoir, et finalement dans le crescendo d’une tension extrême, de la confiance voilée jusqu’à la certitude, pour connaître enfin la délivrance. C’est qu’il s’agissait de déboulonner Saint-Etienne, quadruple champion de France et maître incontesté de l’hexagone.
Nous étions toute une bande autour des dix-huit ans qui nous retrouvions aux populaires, situés uniquement derrière les buts du virage sud à présent. Le Vélodrome s’était amélioré pour se rapprocher d’un vrai stade de foot. Des « avancées » avaient vu le jour afin de prolonger les deux tribunes Jean Bouin et Ganay, au dessus des pistes de cyclisme et d’athlétisme devenues inutiles. De solides grilles entouraient le terrain. Nous nous y accrochions comme des fauves. C’était à la fois bon enfant et plein du désir cruel de terroriser l’adversaire. Parfois il arrivait qu’une canette s’échoue aux pieds d’un joueur visiteur… mais rien de bien méchant.
Par contre, les insultes pleuvaient, terribles, et je l’avoue aussi, les crachats. Nous faisions preuve d’une certaine imagination dans la pratique du quolibet, allant jusqu’à organiser des concours afin de désigner celui d’entre nous qui aurait le privilège d’injurier tel ou tel joueur venant chercher la balle en six mètres. Nous pensions qu’un seul des nôtres, bien inspiré, serait plus audible, et donc plus efficace, que la meute entière vociférante. C’était la cour des miracles… L’Argentine. Les oreilles chastes, les esprits chagrins, n’avaient rien à faire là, c’est entendu… mais quitte à en choquer certains, je dois dire qu’on s’amusait bien.
Une seule fois les grilles tremblèrent sur leurs socles de béton et finirent par se coucher, c’était lors de l’inoubliable match au couteau contre les Tchèques de Trnava, en 8ème de finale retour de la coupe UEFA. Didier Couécou, l’enfant terrible venu de Bordeaux, joueur imprévisible et violent quand la folie s’emparait de lui, avait tellement attisé les braises d’une rencontre où les Tchèques, loin d’être des enfants de chœur, n’avaient pas donné leur part aux chiens, que tout cela se termina dans la plus totale confusion. L’OM était finalement éliminé aux tirs au but (c’était le nouveau règlement), Skoblar ayant expédié son tir dans les nuages…
Hormis cet épisode dantesque et malheureux, cette saison 70/71 fut celle du couronnement. Mais le chemin serait long et plein d’embûches… Les Verts étaient forts, les bougres. Le mano à mano devait durer jusqu’à la dernière journée. Parallèlement, il y avait aussi la lutte pour le classement du meilleur buteur entre Josip Skoblar et l’attaquant malien de Saint-Etienne, Salif Keita, pour venir renforcer l’antagonisme et le suspense. Je me souviens d’un match à Nice à quelques encablures de la fin du championnat. Nous avions fait le déplacement du stade du Ray avec deux copains et des milliers d’autres supporters. Les Verts avaient joué et gagné (8–0 contre Sedan) la veille, Keita réalisant un… sextuplé ! Il dépassait ainsi d’un but notre Josip, 37 buts contre 36. Comble d’inquiétude, trois jours auparavant, l’OM était tombé en demi finale de coupe de France, contre Rennes, toujours aux tirs au but, et encore une fois Skoblar avait loupé le sien… Le moral n’était pas terrible. Il pleuvait sur la Côte d’Azur. Dans la boue, les Niçois ne lâchaient rien et avaient même ouvert le score. Puis Skoblar répliqua. Il allait récidiver, refoulant son trac et la malédiction qui le suivait dans cet exercice, en nous offrant la victoire sur… pénalty ! Il récupérait son sceptre, et l’OM la première place.
J’ai dit que cette saison fut pour moi la plus belle. Je la place à égalité avec 88/89, elle aussi remplie de moments intenses et ponctuée par un second doublé coupe - championnat, avec un Papin irrésistible. Et puis tout en haut, bien sûr, il y a 92/93… l’année du firmament et de la « Grandes Oreilles ». Mais c’est une autre histoire…
Pour finir avec 70/71, je me souviens encore de ce match contre Saint-Etienne, au Vélodrome dans un froid sibérien, où les champions en titre nous avaient copieusement donné la leçon, le score nul 2 – 2 étant flatteur pour nous et quasi miraculeux. A ce moment nous n’en menions pas large. Pour tout dire on n’y croyait plus. Puis le vent tourna… Les Verts se sabordèrent avec l’affaire Carnus-Bosquier, et enfin ce fut l’apothéose de l’ultime journée. Pas de calcul à faire : la victoire signifiait le titre. Mais il existait un double enjeu avec le classement des buteurs. Les pauvres Strasbourgeois furent laminés 6 à 3 ! Skoblar réalisa un triplé et termina en tête des buteurs (français et européens) avec 44 buts devant Keita 42 « seulement ». Et surtout l’OM était champion de France ! La nuit qui suivit fut une nuit de folie. Marseille était en fête. Après avoir enfin quitté le stade, nous nous rendîmes au siège du club, place Félix Barret, où les joueurs finirent par apparaître sur le balcon, pour recevoir l’ovation qu’ils méritaient. Le surlendemain nous eûmes droit à un nouveau défilé, mais cette fois les joueurs s’étaient juchés sur un camion, comme sur un immense char antique, qui roula au pas pendant des heures, accompagné par un peuple en délire. Dans la rue Saint-Ferréol, des nuées de papiers furent jetées par les fenêtres. La ville était en feu pour fêter ses héros, ses dieux du stade, devenus des Marseillais pour l’éternité…
Suite
Par la suite il y eu d’autres victoires magnifiques… et des défaites amères. En 71/72, nous conservâmes notre couronne, avec en plus un premier doublé à la clef ! J’étais au Parc des Princes pour la victoire contre Bastia : buts de Couécou et Skoblar avec en prime un récital de Magnusson. Hélas, comme plus tard en 93, après la gloire vint l’abîme… Mais contrairement à l’entreprise de destruction qui suivit le sacre de Munich, froidement et méthodiquement orchestrée par l’ensemble du football français sous la conduite du venimeux Le Graët, c’est du sein même du club, cette fois, que vint le coup mortel asséné par un groupe de dirigeants minables qui visaient le pouvoir et débarquèrent honteusement Marcel Leclerc. Ce fut le début de la pente…Il y eut quand même une neuvième coupe de France remportée aux dépens de Lyon, en 76 (J’étais encore au Parc). Mais c’était le chant du cygne. Derrière cela, nous attendait la chute en D2 (1979), avec pour seul souvenir agréable, l’épisode rafraîchissant des Minots. Et la remontée en 1985.
Puis ce fut l’expérience (nouvelle pour moi et ô combien douloureuse…) des finales perdues. Deux d’affilée contre Bordeaux, en 86 et 87. Et depuis ça continue, malheureusement… En vingt ans le ratio est devenu largement déficitaire. A ce propos et pour répondre à des questions qui me furent posées sur le forum de La Provence, au sujet de l’amour exclusif que je revendique pour l’OM et à l’indifférence que m’inspire l’équipe de France, je voudrais préciser que c’est dans la défaite, finalement, que l’on ressent vraiment ce qui est important pour soi, et de quoi est réellement fait notre sang. La victoire de Munich n’a bien sûr, dans mon cœur et dans la manière dont je l’ai vécue en temps réel, aucune comparaison avec celle des « Bleus » en 98. L’une m’a transporté dans les étoiles, l’autre m’a fait à peine sourire. Mais ce qui est plus significatif encore, c’est la souffrance que j’ai ressentie au fond de mes entrailles après Bari, comme après les finales gâchées de ces dernières années. Cela ne peut même pas être mesuré, en terme de désespoir et de tourment irrationnels, avec ce qui me laissa complètement de marbre et sans doute un peu ironique, après la finale du mondial 2006 et la sortie pathétique de notre pauvre « Zizou national ».
Voilà, c’était mon témoignage d’ « Ohémien », espèce qui me paraît parfois en danger de disparition, tant le football en général et l’OM en particulier, me semblent être devenus les pires objets de consommation… Mais basta, à chaque époque ses vices et ses vertus… Je souhaite de tout cœur aux jeunes supporters de la région et à ceux d’ailleurs, même si j’ai pu fustiger ces derniers sur le forum (qu’ils me pardonnent…), car l’OM, pour moi, grand chauvin devant l’éternel, ne saurait être autre chose qu’une affaire de Provençaux… Je souhaite donc à tous ceux qui n’ont pas encore eu la chance de connaître la joie que procure un OM vainqueur, de vivre sous peu ces moments intenses de liesse et de communion.
Ecrit en septembre 2009.
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Je remercie Didier Deschamps et la Divine Providence de nous avoir offert ce beau doublé Championnat - Coupe de la Ligue en mai 2010, réalisant ainsi mon souhait de partager avec tous cet immense bonheur.